Dans notre précédent article, nous abordions l’importance de la confiance en soi dans la réussite tant managériale que sportive. Nous y pointions du doigt le fait que cette compétence, dont la composante acquise est aujourd’hui admise, implique une connaissance sincère de soi et l’impérieuse nécessité de l’entretenir par l’apprentissage, l’entraînement et l’analyse de ses réussites et de ses échecs.

Cette analyse perpétuelle des prestations antérieures est fondamentale, car les moteurs de la performance ne sont jamais définitivement acquis. Si les managers, à l’instar des sportifs de haut niveau, peuvent s’appuyer sur leurs ressources intérieures pour performer, cette condition nécessaire n’est cependant pas suffisante. Pour faire émerger les comportements qui permettent de relever les défis les plus audacieux, il leur revient de mettre en place un processus d’amélioration continue dans lequel la confrontation avec eux-mêmes s’avère indispensable. Ainsi, c’est à l’importance dans la réussite d’objectifs de l’introspection, d’une part, et de l’analyse des prestations, d’autre part, que nous allons ici nous intéresser.

 

La connaissance de soi nécessaire à la réalisation des objectifs fixés

Selon le Larousse en ligne, l’introspection – qui vient du latin introspicere signifiant « regarder à l'intérieur » –, consiste en « l’observation méthodique, par le sujet lui-même, de ses états de conscience et de sa vie intérieure ».

En se plaçant dans un état d’observation et d’analyse dans lequel il est attentif à ce qui se passe en lui, l’individu acquiert une connaissance de ce qu’il est et apprend à reconnaître avec sincérité ses qualités, sur lesquelles il peut s’appuyer, et ses défauts sur lesquels il doit travailler. Il appréhende aussi son mode de pensée. Sans aller jusqu’à identifier les spécificités philosophiques qui feront de lui un « leibnizien » parce qu’il se reconnaîtra comme rationnel, logique et analytique, « kantien » parce qu’il est critique et justifiant tout par le raisonnement, « hégélien » parce qu’il ne se base que sur la dialectique et la synthèse ou encore « lockéen » parce que seule l’observation guide son action, tout individu qui se livre à une auto-analyse ouvre les portes d’une compréhension profonde de lui-même et de ses ressorts.

Étant connecté à ses émotions et sachant identifier sa façon de penser, il est à même d’anticiper ses propres réactions face aux évènements extérieurs et de mieux appréhender les relations aux autres. Il s’engage sur le chemin complexe de l’affirmation de soi.
L’auto-observation est aussi un moteur puissant à la mise en mouvement pour la réalisation d’objectifs. Le psychologue Paul Diel décrivait d’ailleurs l’introspection comme une méthode permettant d’accéder à l’intimité du psychisme, les désirs reconnus devenant des motifs d’action.et agissant ainsi comme un levier de la motivation.

Si l’affirmation du philosophe grec Héraclite, « se connaître soi-même et réfléchir est une ambition commune pour tous les hommes » laisse un peu dubitatif en ce qui concerne l’ensemble de l’humanité, on la retrouve avérée chez les sportifs de haut niveau comme elle doit aussi l’être chez les managers. En effet, comme le démontre la psychologue organisationnelle Julie Carrigan, six clés sont communes aux sportifs et aux managers qui performent de façon « saine et durable » : l’introspection, la volonté, l’énergie, le soutien, le talent et l’imputabilité. Ils sont résumés par l’acronyme in-VESTIi.

Ainsi, chez les athlètes comme chez les managers, la capacité à se questionner pour s’autoévaluer est une garantie de professionnalisme, tout comme l’est l’aptitude à prendre du recul sur sa pratique.

i Carignan J. Comment rester performants sans s'épuiser ? Leçons tirées du milieu sportif. Gestion 2013/1, Vol. 38

 

L’analyse des performances : compétence clé pour progresser

« Je suis concentré sur le processus de progression pour devenir meilleur d’année en année. Peu de gens le savent, mais je regarde tous mes matchs pour corriger mes erreurs. » Ces mots de l’international de football belge, Romelu Lukaku, reflètent de façon simple l’importance de l’auto-évaluation dans la performance sportive.

Dans l’analyse de ses prestations, il ne s’agit pas pour le champion de s’autoflageller ou de s’autocongratuler, mais de détecter les points à travailler pour une progression continue. Comprendre une contre-performance est indispensable pour ne pas reproduire le même scénario, comme l’a verbalisé Teddy Riner : « J’ai reçu ma plus grande leçon après une défaite contre mon frère aîné. Je l’ai sous-estimé, et il m’a battu sur cinq secondes de déconcentration. » S’il en était resté là, cette histoire ne serait qu’anecdotique et de peu d’intérêt. C’est l’analyse qu’il en a faite qui a été déterminante : « Après ça, je n’ai plus jamais sous-estimé un adversaire. » Le judoka était adolescent lors du combat dont il parle ; il détient aujourd’hui dix titres de champion du monde et deux de champion olympique.

Savoir analyser ses performances positives et négatives et apprendre de ses erreurs est une compétence commune à tous les performers, qu’ils soient sportifs de haut niveau ou leaders en entreprise. Sans examen sincère des prestations et détection des erreurs, toute personne soumise à un échec risque de s’engager dans des automatismes contre-productifs que viendront conforter des pensées intrusives.

Aujourd’hui, dans un processus d’adaptation aux challenges, les gestionnaires sont attentifs à percevoir lors de leur recrutement de managers les mêmes compétences d’analyse honnête que possèdent les élites sportives. Le Harvard Business Review France relevait qu’« un bon manager est un manager capable de voir ses erreurs, de les identifier et de les comprendre, le plus vite possible pour y remédier. » Il sait ainsi mettre de l’intelligibilité sur les situations vécues pour engager la spirale de l’amélioration continue. Il adopte une posture où devient possible le développement de comportements automatiques positifs, ce qui constitue l’une des composantes d’un l’état psychologique optimal de performance.

Il entre également dans la capacité d’analyse une notion de temporalité. Prendre du recul après l’évènement est positif. Le faire durant son déroulement l’est encore plus. En biathlon, sur le pas de tir, les coups s’enchaînent à un rythme élevé, qui semble parfois échapper aux athlètes. Lorsque Émilien Jacquelin stoppe son tir lors du sprint d’Antholz-Anterselva 2021 pour se reprendre, son attitude est saluée. Une capacité d’analyse instantanée est ainsi primordiale pour retourner des situations, que ce soit dans un stade ou en entreprise.

 

L’exploration de soi-même pour dynamiser sa réactivité

« Toutes les choses sont créées deux fois : une première fois mentalement, puis une seconde fois physiquement. La clé de la créativité, c’est de commencer avec la fin à l’esprit, avec une vision et un modèle du résultat désiré. » Ce que nous enseigne l’homme d'affaires Stephen Richards Covey, auteur des Sept Habitudes des gens efficaces, pointe une fois de plus l’importance de la réflexion sur soi et sur ses expériences dans la réalisation concrète d’objectifs.

Lorsque le sportif est acteur d’une démarche d’analyse des ressentis et pratiques, il devient à même, par une mise à distance, d’initier une approche cohérente dans les situations complexes. Ceci constitue la marque des champions.

Il en va ainsi également chez le manager à qui cette capacité donne l’étoffe d’un leader. En entreprise, le recul de ce chef d’orchestre de l’organisation est indispensable pour motiver ses équipes et gérer les tensions. Un de ses challenges est de mieux comprendre ses collaborateurs afin d’harmoniser les relations et de permettre l’expression de leurs capacités. C’est ici qu’intervient la nécessité pour lui de bien se connaître. Cette démarche est en effet la clef pour qu’il s’affirme, dirige ses réactions et déchiffre celles de son équipe qu’il peut alors guider. Il lui devient alors aisé d’identifier les leviers de motivation pour les activer, les mécanismes de défense pour les contourner et les modes de pensées pour favoriser la mise en place de dialogues constructifs.

Chez les sportifs, la verbalisation des émotions pré- et post-compétitives constitue une voie d’accès privilégiée à la résonance intime de la prestation et à la connaissance de soiii. Le manager conscient de l’importance de la verbalisation des ressentis sera à même de lui laisser la place nécessaire, tout en évitant les débordements. Il permettra alors à chacun d’appréhender son positionnement par rapport aux évènements, mais aussi celui des autres, offrant une possibilité d’évolution pour que l’entreprise devienne le lieu d’expression des qualités individuelles et collectives.

« L’expérience, ce n’est pas ce qui nous arrive, mais ce que nous faisons avec ce qui nous arrive. » (Aldous Huxley) Athlètes de haut niveau et managers ont en commun de savoir rebondir positivement sur ce qui leur arrive !

ii Lévêque M. La dimension corporelle de l'émotion sportive, Sociétés 2014/3, n°12