Capacité d’observation et intelligence de situation, des compétences autant rencontrées chez les sportifs de haut niveau qu’auprès des décideurs des comités de direction

Observer les situations, percevoir les évolutions, détecter les tendances font partie des qualités des leaders nécessaires à la performance des entreprises. Pour ne citer qu’un exemple, prenons celui de Steeve Jobs, pionnier dans la démocratisation des ordinateurs avec la marque à la pomme ; « visionnaire », il fit de son entreprise une des plus riches au monde avec ses iPhone et autres iPad.

A contrario, lorsque les décideurs manquent de vision à court ou long terme, les conséquences peuvent s’avérer lourdes. D’après l’auteur de La Chute de l’empire Kodak, l’avenir du numérique avait été sous-estimé par les dirigeants de l’entreprise mythique de la photo, ce qui a conduit à son déclin il y a une dizaine d’années. Plus récemment, le choix du laboratoire Sanofi d’investir davantage dans les protéines recombinantes que sur les ARN-messagers lui a fait perdre la course au développement d’un vaccin de primo-injection contre la Covid.

Ainsi, les entreprises ont besoin d’hommes qui savent « sentir » leur environnement plus ou moins proche, qui « absorbent » et analysent les situations et qui, avec agilité, développent une réponse adaptée. Ces compétences font passer celui qui les possède d’un statut d’observateur à celui de stratège ou de tacticien qui impulse l’action. Nécessaires aux leaders d’entreprises, ne sont-elles pas inhérentes aux sportifs de haut niveau ? La réponse est indéniablement oui !

Stratégie et tactique, des concepts complémentaires dans un stade comme en entreprise

Stratégie et tactique puisent leurs racines dans « l’art » de la guerre, mais leurs applications s’étendent largement hors du champ militaire. Ainsi toutes deux permettent d’affronter un adversaire, que ce soit dans un stade ou dans un contexte d’affaires et de marchés concurrentiels.

Si les termes sont souvent employés indifféremment l’un de l’autre, des auteurs — comme Alain Mouchet en 2014 dans l’article « Intelligence tactique en sports collectifs » — apportent des nuances.

On peut ainsi associer la stratégie à un « plan » réfléchi et conçu préalablement à la mise en pratique dans un objectif de maîtrise de l’adversaire. Les actions du joueur ou du manager consistent alors à appliquer des solutions réfléchies et programmées en amont, qui peuvent être décidées collectivement. À titre d’exemple, en sport collectif, un choix stratégique peut consister à aligner tels joueurs plutôt que tels autres face à un adversaire donné. De même, faire intervenir tel consultant plutôt que tel autre dans le cadre d’un processus directionnel peut résulter d’une stratégie managériale.

La tactique correspond, elle, à l’activité décisionnelle mobilisée en un temps court et souvent vecteur de stress, lors de l’action. Elle nécessite de la part des protagonistes, qu’ils soient athlètes de haut niveau ou leaders en entreprise, de fortes aptitudes parmi lesquelles :

  • un pouvoir de résistance à la pression pour leur éviter d’être submergés par les émotions lors de phases de tensions sportives ou managériales (voir notre article « Viser le juste milieu émotionnel »),
  • des facultés d’observation et d’analyse rapide des situations qui permettent d’en déceler les fondements et d’en prévoir l’évolution ;
  • une capacité d’adaptation et d’agilité pour répondre au mieux aux contraintes imprévues et mouvantes.

Le tacticien, qu’il soit champion sportif ou manager, a la capacité d’ajuster rapidement la réaction à l’action en combinant analyse consciente et ce que certains nomment « instinct », mais qui n’est pas sans se travailler pour devenir « automatisme ». À l’instar d’un judoka qui se sert de la force de son adversaire pour le déséquilibrer au bon moment, le manager laisse ses concurrents se dévoiler et s’appuie sur leurs arguments pour développer les siens.

 

Observer pour anticiper, un savoir-faire commun aux athlètes et aux cadres

Lors des Jeux olympiques de Tokyo de 2021, à l’instar des autres « sports co », le volley-ball nous a ravis. Quels points nous avons pu admirer ! Des passes à une main, des petites « diags », des « boîtes aux lettres », des blocs… Lorsqu’un Barthélemy Chinenyeze ou un Nicolas Le Goff décide d’enlever ses mains du bloc, lorsque le libero Jenia Grebennikov ne réceptionne pas volontairement la balle que sert le camp adverse, c’est que tous anticipent qu’elle va être dehors. Et que dire des performances des gardiens de handball, Vincent Gérard, Amandine Leynaud, Cléopâtre Darleux ? Les titres de champions olympiques rapportés par leurs équipes féminine et masculine doivent beaucoup à une vision du jeu alimentée par un état d’alerte permettant de gérer toutes les situations qui se présentent. Leurs capacités d’observation du jeu de l’adversaire ne sont pas étrangères aux succès remportés.

Selon Le Larousse en ligne, l’observation est l’« action de regarder attentivement les phénomènes, les événements, les êtres pour les étudier, les surveiller, en tirer des conclusions, etc. » Cette perception accrue de l’environnement permet une détection de signaux qui, même faibles, favorise l’appréhension des situations, la contextualisation des problématiques — qui, quoi, où, quand, comment, pourquoi —, leur anticipation, ainsi qu’une prise de décision rapide et motivée.

Dans les sports de haut niveau, surtout quand ils sont collectifs, le sens de l’observation aide à la vision du jeu ou à celle des situations et permet de voir et d’agir avant les autres pour mieux les dépasser ou les contrer. Ces capacités à collecter et traiter des informations en milieu incertain afin d’anticiper sont tout autant nécessaires chez les leaders en entreprise. Elles leur permettent de repérer les opportunités et de les exploiter, que ces dernières concernent le potentiel de collaborateurs, les faiblesses d’un concurrent, des produits à développer, des affaires à venir, etc.

Il existait en grec ancien un mot pour définir la possibilité de saisir le bon moment pour agir, sous peine qu’il disparaisse instantanément et définitivement : le Kairos. Ce concept définit donc le moment fugace où tout se dessine. Il s’appuie sur la capacité de perception des opportunités, laquelle dépend, bien évidemment, d’un sens de l’observation affûté.

Ne pas laisser passer l’occasion est un des défis du sportif ou du manager. C’est par une captation attentive de leur environnement qu’ils détectent les données qui vont leur permettre d’agir et de réagir rapidement. Cet atout fournit également les données tangibles sur lesquelles baser la réflexion au long cours lors des préparations stratégiques, mais aussi lors des moments tactiques sous pression, comme le sont les compétitions pour les uns ou les réunions pour les autres. Que ce soit sur un terrain ou en entreprise, par les actions mêmes des protagonistes, l’environnement s’automodifie continuellement. Ces derniers développent alors une intelligence « de situation » pour apporter des réponses de qualité à un contexte qui peut s’avérer en permanence imprévu ou aléatoire et pour améliorer leur capacité d’adaptation ainsi que leur inventivité.

 

De l’intelligence du jeu à celle des situations managériales

S’appuyant fortement sur l’observation, la stratégie et la tactique, l’intelligence du jeu inclut certes les actions effectuées, mais aussi des processus cognitifs comme les prises d’informations et de décisions. Elle recouvre des notions de qualité et de rapidité de réaction face à des situations contextualisées.

De plus, dans le cas des sports collectifs, elle exige « une coordination, une adaptation collective en jeu, c’est-à-dire la possibilité pour tous les joueurs : de comprendre le jeu pour choisir et décider de leur participation individuelle ; de se comprendre entre eux pour pouvoir construire collectivement une situation exploitable, et exploiter collectivement la nouvelle situation créée par l’initiative individuelle. » (Mouchet, 2014)

Les processus sportifs que nous venons de citer résonnent positivement dans le champ du management. C’est d’autant plus intéressant qu’il ne faudrait pas croire que l’intelligence du jeu est innée. Elle se travaille et, une fois acquise, peut s’activer dans différents champs situationnels.

Nous avions évoqué les neurones dits « miroirs » lors de notre précédent article sur La visualisation mentale positive, source d’efficience dans les actions des sportifs de haut niveau et des managers. L’observation de mouvements et d’actions active ces neurones miroirs, lesquels sont reconnus comme le fondement neurophysiologique de la compréhension des actions et intentions d’autrui. Ainsi, le cerveau et les connexions neuronales se modifient par l’expérience et surtout par l’observation selon une « plasticité cérébrale » propre à chacun.

Cette faculté cognitive est au fondement de l’expertise définie comme « une intelligence capitalisée, une suite de modes opératoires, de fonctionnements heuristiques routinisés, d’analogies, d’intuitions, de déductions, qui sont devenus des schémas mentaux de haut niveau permettant de gagner du temps et d’optimiser la décision. » (Perrenoud, 1997. Construire des compétences dès l’école, ESF éditeur, Paris).

L’expertise, lorsqu’elle est mise en place dans un cadre comme celui du sport, ne demande ensuite qu’à être mobilisée dans d’autres challenges situationnels, comme ceux auxquels sont confrontés les hauts potentiels en entreprise. Ainsi, tel que nous l’avions annoncé en introduction, oui, les capacités d’observation et l’intelligence des situations sont des compétences des hauts potentiels en entreprise développées et maîtrisées par les sportifs de haut niveau... lesquels possèdent bien plus que des qualités physiques.