Forgé dans l’envie de vaincre et de dépasser les autres, mais aussi de valorisation propre, l’esprit de compétition se retrouve à des degrés divers en chacun de nous. Certains en font une règle de vie et recherchent les occasions de le mettre en service ; d’autres se contraignent à le laisser en sommeil par refus de la pression que cela impose ou par peur de l’échec. Son caractère inné s’intègre cependant dans un des besoins fondamentaux de l’individu et la pyramide de Maslow place d’ailleurs en son sommet le besoin d’estime et de reconnaissance de l’homme associé à une image performante de lui-même.

 L’esprit de compétition révèle des personnalités pour lesquelles la rage de gagner est alimentée par la confrontation aux challenges et qui sont dotées d’une capacité à générer des exploits sportifs tels que ceux qui font vibrer les stades. Ce sont les mêmes traits de caractère que l’on retrouve chez les leaders d’entreprises qui font se dépasser leurs collaborateurs et gagner des marchés. Mais, que sous-entend l’esprit de compétition ? Présente-t-il des limites pour la performance ? Comment la gestion sportive de l’esprit de compétition peut-elle se transposer en entreprise ? Des réponses à suivre...

L’esprit de compétition, facteur de rivalités et moteur de dépassement

Dans la logique qui pousse le compétiteur à se dépasser pour performer, il existe deux dimensions. L’une, que l’on peut qualifier d’« extrinsèque », le conduit à mettre en place des stratégies et à adapter des tactiques (voir notre article Capacité d’observation et intelligence de situation, des compétences autant rencontrées chez les sportifs de haut niveau qu’auprès des décideurs des comités de direction) pour surpasser les autres dans le but de définir sa propre valeur. Elle est indispensable à la performance dans la confrontation du sportif ou de l’équipe sportive à ses adversaires, tout comme dans celle des hauts responsables d’entreprises face à leurs concurrents.

L’autre dimension, intrinsèque celle-là, pousse l’individu à s’« auto-dépasser » et devient un puissant levier d’amélioration de ses performances. Le ressort de sa combativité apparaît alors comme un moteur personnel qui, au lieu de le placer en situation de rivalité par rapport aux autres, lui permet de mobiliser son énergie dans une conquête supplémentaire de ses possibilités. Ici encore, le sport révèle toute la panoplie positive de l’esprit de compétition qui permet au champion d’aller puiser au creux de lui-même les moteurs de sa victoire.

La fugacité de toute victoire et sa remise en question constante porte cependant en elle les germes d’une insatisfaction qui pourrait se révéler destructrice en cas d’échec. Le principe de résilience fait ainsi partie de la construction du champion sportif dans la mesure où il lui permet d’analyser ses échecs et de les surmonter en explorant son ressenti. L’esprit de compétition s’intègre alors dans un processus de préparation mentale de l’athlète et sa mise en action reste sainement concentrée sur l’amélioration de la performance attendue, l’objectif concret restant toujours la victoire.

D’ailleurs, selon le judoka Michel Novak, alors même que le judo prône des valeurs d’humilité, « commencer une compétition et ne pas vouloir la gagner à tout prix, c’est être un compétiteur malhonnête ». Cette affirmation du sextuple champion de France confirme que la volonté de gagner est un challenge d’abord avec soi-même, qui ne mésestime pas l’adversaire dans son opposition ni quand il est vaincu, preuve en est donnée lors du salut respectueux qui ponctue les combats. Lorsqu’on retrouve cette même énergie positive chez les hauts potentiels en entreprise, la capacité de ces derniers à se surpasser entraîne celle de leurs équipes. Et c’est dans le respect de leurs concurrents qu’ils apprennent le mieux à les connaître… pour les dépasser.

Esprit de compétition ou état d’esprit en compétition ?

En entreprise, à l’instar de ce qui se retrouve dans certains clubs sportifs, l’esprit de compétition a longtemps présidé à la mise en concurrence des collaborateurs. Le champ des rivalités y apparaissait — et apparaît encore dans certaines structures — comme un terrain de joutes où le vainqueur devenait le porte-drapeau des couleurs de la firme.

Le corolaire de ce type de management est une tension constante qui crée un mal-être finalement nuisible à l’objectif à atteindre. Ce formatage mental, qui peut être galvanisé par des incitations individuelles (bonus, primes, etc.), suppose un combat permanent de chacun pour être le meilleur. Basé en grande partie sur la dimension extrinsèque de l’esprit de compétition précédemment évoquée, il crée une compétition interne qui peut se révéler extrêmement nocive en provoquant des ruptures entre coéquipiers ou collaborateurs et en déconcentrant l’énergie qui devrait être réservée aux luttes à mener face à la véritable concurrence, celle-ci extérieure. La pression et le stress inhérents à un esprit de compétition interne sont désormais considérés comme contre-productifs, voire nuisibles à l’image de marque.

Dans le monde sportif, le meilleur exemple du danger d’une équipe où l’ego fait oublier le collectif est l’élimination de l’équipe de France de football de la Coupe du monde 2010 organisée en Afrique du Sud. Le paroxysme fut atteint lors de ce qui est aujourd’hui connu sous l’appellation du « fiasco de Knysna » où le football français se décrédibilisa non seulement par son non-résultat, mais aussi par des dissensions et une grève des joueurs. Parmi les causes de l’échec évoquées, le « climat de l’équipe de France […] à savoir l’individualisme, l’égoïsme, le chacun pour soi ». Pourtant, les internationaux français avaient conscience de l’importance de l’esprit de groupe, tout au moins dans les mots qu’ils adressèrent à leurs supporters : « […] Nous ferons tout individuellement, bien sûr, mais aussi dans un esprit collectif, pour que la France, mardi soir, retrouve son honneur par une performance enfin positive. »

A contrario donc, lorsqu’il est intégré dans sa dimension intrinsèque dans un modèle collectif mis au service des objectifs d’une équipe ou d’une entreprise, l’esprit de compétition devient un formidable outil de progression. On l’observe y compris dans les sports individuels, où la performance des uns place les autres dans la dynamique du succès. De manière similaire, le challenge pour l’entreprise est d’utiliser ce potentiel d’émulation en créant les bases d’un esprit d’équipe partagé par l’ensemble des acteurs. Il s’agit dans ce cas, pour les managers, de faire coïncider objectif personnel et objectif collectif, ce qui constitue le défi quotidien des coachs sportifs.

Prenons Guy Noves qui, avant d’être sélectionneur national, a été l’entraîneur du Stade toulousain, club multititré de rugby à XV. Il est souvent cité en exemple du patron qui a su mener son équipe vers l’excellence en harmonisant l’ego de chacun par une alternance du coaching individuel et collectif ; il a ainsi fait franchir au Stade toulousain le cap du professionnalisme. Dans tout collectif, la personnalité de chacun des membres doit donc se marier à celle du groupe pour une union des valeurs et des forces ; le management, qu’il soit sportif ou entrepreneurial, doit être apte à faire adhérer chacun à ces valeurs et à gérer les personnalités individuelles.

La performance par le sens du collectif : et si le rugby inspirait l’entreprise ?

La quintessence de l’esprit de compétition se révèle souvent dans des objectifs collectifs plus motivants que des objectifs individuels, comme l’illustrent les victoires des tennismen français en coupe Davis, sous la houlette des champions Yannick Noah ou Guy Forget. Pour illustrer davantage ce que ce concept signifie, il nous est apparu que, dans le rugby plus que dans n’importe quel autre sport d’équipe, le talent individuel est dépendant de celui des autres joueurs et des interactions développées.

Les valeurs spécifiques du rugby sous-tendent que le rapport des joueurs entre eux est essentiel pour parvenir à sublimer les forces techniques et stratégiques de l’équipe. Daniel Herrero, joueur mythique puis entraîneur, analyse d’ailleurs la nécessaire interdépendance des joueurs en affirmant que « c’est un monde où on se rencontre plus qu’on ne se croise ». L’esprit de compétition y est l’affaire d’un collectif capable de se transcender et de se donner pleinement pour gagner, mais aussi partager. Dans ce sport, la victoire concerne un groupe au sein duquel le sentiment d’appartenance est aussi — sinon plus — important que le trophée. La solidarité se forge autour du but à atteindre, mais aussi du plaisir pris à jouer. Un échec peut être vécu âprement, mais n’empêchera pas la troisième mi-temps…

Des valeurs partagées comme socle de l’équipe

Un esprit d’équipe n’existe pas parce qu’on décide de son opportunité. Il se construit autour de valeurs communes, partagées avec un collectif plus large que les membres de l’équipe de joueurs et incluant staff, supporters, partenaires commerciaux, etc. Les performances individuelles n’y ont de sens que si le collectif est performant. L’ancien demi de mêlée Jean-Pierre Elissalde le résume parfaitement en affirmant qu’« un joueur phare au rugby, c’est quelqu’un qui est là pour éclairer, pas pour éblouir ».

En entreprise, la prise de conscience d’un nouveau modèle, collectif, nécessaire à mettre en place pour assurer la compétitivité est liée à l’émergence de la responsabilité sociétale et de l’obligation des dirigeants de veiller à la santé et à la sécurité de leurs collaborateurs. « L’ensemble capital humain et système d’organisation constituent l’intelligence collective de l’entreprise. » Cette analyse des chercheuses Claude Blanche Allègre et Anne-Élisabeth Andréassian (Gestion des ressources humaines – Valeur de l’immatériel, 2008) renforce la conviction qu’un esprit de compétition mis au strict service d’un intérêt personnel et d’un pouvoir individuel ne peut participer à la performance durable de l’entreprise.

À l’instar de ce que nous avons décrit pour le rugby, en créant les conditions d’un engagement collectif et d’une forte appartenance au groupe, l’entreprise découvre au travers de l’addition des capacités issues de l’interaction entre les membres, les ressorts d’une productivité et d’une créativité nées du sentiment d’appartenance à un projet commun. Les afterworks et les évènements de teambuilding ne ressemblent bien évidemment pas à des après-matchs, mais ils participent à créer les conditions nécessaires au partage et au renforcement d’un sentiment d’appartenance. La coopération positive au sein des équipes s’appuie sur de nombreux concepts évoqués dans de précédents newsletters et notamment celui de l’intelligence émotionnelle (voir notre article Viser le juste milieu émotionnel).

Comme dans le sport, le rôle du manager d’entreprise est essentiel pour motiver, gérer les diverses personnalités, attribuer un rôle à chacun pour qu’il se sente lié aux autres, renforcer l’autonomie pour libérer les énergies et créer les conditions de la recherche d’une satisfaction commune pour laquelle chacun peut se surpasser dans le but d’une victoire à partager. Cette synergie suppose cependant un prérequis : l’existence de valeurs fortes, affirmées et défendues sans lesquelles un esprit d’équipe ne peut prétendre à fédérer de façon durable et sincère. C’est une part essentielle du rôle du leader en entreprise de faire émerger ces valeurs, d’y faire adhérer ses collaborateurs et de mettre ainsi en exergue une synergie entre esprit d’équipe et esprit de compétition.